Après des mois d’effort et d’opiniâtreté, notre Atelier est certifié ZeroCert™. C’est une véritable étape dans notre développement et nous tenons à auto-congratuler notre coach et notre organisme de certification à cette occasion. Cela faisait des mois que nous préparions ce titre, après y avoir longuement réfléchi, fait des matrices SWOT, des diagrammes en tous genres et même programmé un système d’aide à la décision sur le modèle de Rube-Goldberg.
ZeroCert™ est l’assurance pour nos clients qu’il n’y aura rien entre nous et leur besoin. Pas de certification à rentabiliser, pas d’attrape-nigaud A.G.I.L.E, pas technologies trop mal documentées pour être mise en œuvre sans certification cache-misère. Nada. Que des choses reprenables, simples et faciles à apprendre. Oserais-je dire bêtes ?
Nous avons fait le choix de l’artisanat. Ce choix implique des principes et des données. D’eux nous tirons un rejet total de toute forme de certification, présente, passée et future. La suite de cet article est un argumentaire.
L’auto-éducation au Cargo Cult
Nos clients ne sont pas Amazon, Google ou Microsoft, mais la PME de Monsieur tout-le-monde. Ils n’ont pas les problématiques de scalabilité, maintenabilité et performances des GAFAM susmentionnés. Ils n’ont pas besoin de l’outillage et des stacks techniques qui vont avec. Encore moins des geeks patentés qui viendraient les leur vanter. Comme toute technologie, les Kubernetes, Kafka et autres Hadoop son nés dans des contexte particuliers, ont été optimisés pour ceux-ci et sont donc rarement des choix judicieux avant de rencontrer les problématiques auxquels ils répondent.
Adopter un outil « parce que X fait comme cela » se nomme le Cargo Cult. Les certifications en sont une forme bien plus pernicieuse et raffinée. Elles changent le professionnel certifié en VRP d’un produit qu’il n’a aucun intérêt à défendre, sauf la mise de départ qu’il a investie. A moins que vous ne soyez une très grosse entreprise, Microsoft, Oracle ou Amazon ne vous ont jamais démarché. Vos développeurs l’ont fait pour eux, et ils ont payé cher pour en avoir l’honneur.
La certification est un antipattern social
Certaines technologies, Azure par exemple, ont une documentation exécrable, tout juste suffisante pour les usages de base. Pour aller plus loin, il faut trouver un formateur. Le formateur vit de sa certification, qu’il a souvent payée à prix d’or et qu’il doit rentabiliser. Pas besoin d’un doctorat en économie pour comprendre que l’entreprise émettrice a intérêt à produire une documentation incomplète et un produit peu intuitif. Le marché des certifications vient remplacer le défunt marché des licences, so années-2000.
Il n’y a même pas besoin de produit pour créer une certification. Il suffit d’inventer une méthode de gestion de projets, qui fonctionne selon un principe de cercle vicieux. Prenez un développeur, managé selon la méthode A.G.I.L.E fictive « CRAMPS ». Cette méthode n’a aucune base scientifique, tout au plus quelques appuis sur des pseudo-sciences comme Meyer-Briggs ou des effets de mode. Elle a peu de chances d’être efficace, surtout si elle n’est qu’un vernis sur de bonnes vielles pratiques Waterfall. Ce développeur sera malheureux en poste et rêvera de devenir chef de projet. Il dépensera donc son compte formation pour se former à la méthode CRAMPS, ou à une autre, plus en vogue et toujours aussi rigoureuse. Il appliquera cette méthode avec un zèle d’ordinand aux développeurs placés sous sa responsabilité. Un quart par bais d’aversion aux pertes, un quart pour rentabiliser sa formation, un quart par égo, un quart par confort, le reste parce qu’il y croit. Une fois expérimenté et devenu « senior », il pourra récupérer sa mise de départ par le coaching et quitter le jeu. Les plus néfastes créent leur propre méthode et « donnent » des talks. C’est un jeu à somme négative perpétué par inertie et une variante du Théorème du Singe. Sauf peut-être pour les organismes de formation.
Une entrave au marché
Une technologie à certification ne s’adopte pas. Elle se refile, comme la covid ou une bonne grippe. Tous ceux qui n’en veulent pas fuient vos offres d’emploi. Au mieux, le radeau de votre certification coule de vieux jours, dans un marché vaste où vous ne peinez pas à recruter. Souvent, le marché se rétracte brusquement, parce que la mode est passée et le prix de la main d’œuvre flambe. Vous avez sur les bras un outil mal adapté à votre besoin, documenté spécifiquement pour rester l’alchimie exclusive de quelques initiés. Ces derniers arcanistes en sont conscients et vous le feront payer très cher. Ce problème existe déjà avec les langages de programmation, nul besoin d’ajouter à leur obsolescence celle de nos outils. Et nul besoin d’ajouter du risque à la pratique déjà funambulaire du développement.
Un développeur expérimenté peut apprendre très rapidement un nouveau langage ou une technique simple. Notre métier c’est l’adaptation : mettre des outils simples au service de besoins les plus complexes. Hélas, contre les barrières intentionnelles à la compréhension, nous ne pouvons rien. Et les rares à s’y risquer vous le feront comprendre sur la facture.
Conclusion : faut-il jeter les certifications ?
Vous l’aurez deviné, ce post est une réaction allergique au contenu de mon fil LinkedIn. Sur notre Facebook-like préféré, entre les auto-congratulations de startuppeurs et deux ou trois billets prétentieux sur les best-practices ou le lifestyle aux airs de publicité, nous trouvons les annonces que un·e·tel·le a obtenu sa certification « Agile Super-Saiyan Fusion 4 ».
C’est le dévoiement des certifications qui provoque chez moi de tels états cynorrhodoïdes. Car oui, elles ont leur utilité. Prenez un opérateur sur une centrale nucléaire, votre chirugien, le conducteur du TGV ou votre électricien. Même le plus hardcore des libertariens ne s’opposera pas à une certaine dose de règlementation dans ces professions. Des débats politiques interminables n’ont pas fini de définir qui doit en être l’émetteur, mais là n’est pas la question.
Il en est de même pour les certifications dans le domaine de l’IT, au sens large. Tout est question de balance entre les bénéfices des certifications, qui permettent de s’assurer qu’une personne compétente est aux manettes et les inconvénients, que nous venons de voir. L’absence de titre pour le développeur du site de e-commerce d’une boutique de gâteaux n’est sans doute pas un problème. Pour l’administrateur d’une infrastructure d’authentification bancaire, c’est sans doute nécessaire qu’il y ait contrôle (et obligation de formation continue).
Dans notre histoire, nous avons tendance à alterner des phases de surrèglementation, l’Ancien Régime crépusculaire étant un exemple, et des phases de surlibéralisation, à l’image du début du XIXème. Je suis bien trop réaliste pour espérer changer la nature cyclique du phénomène. Tout juste, j’espère en diminuer l’amplitude au sein de notre profession. Cet article n’a pas d’autre prétention.
Enzo Sandré