7,6 milliards de dollars. C’est la somme investie par la Chine dans le secteur de l’Intelligence Artificielle (IA) en 2017, contre 5.8 milliards pour les États-Unis. Face à ces deux géants, la France qui pourtant ambitionne de devenir « leader de l’IA » et se sait en retard, n’investira que 1,5 milliards … sur 5 ans. Pire : au lieu de cibler, elle éparpille les crédits entre l’ensemble des collectivités qui ambitionnent d’être « capitale de l’IA ». Le diaphane ex-ministre du Numérique, Mounir Mahjoubi, ne semble pas pressé de trancher. Il est politiquement plus facile d’éparpiller les financements pour contenter tout le monde et surtout de s’assurer que personne ne soit jaloux de cet échec partagé.
Le 15 octobre 2018, la région Île-de-France a sorti un document très synthétique en 15 propositions, appelé « Plan IA 2021[1] ». Accompagné d’un communiqué sans doute rédigé par une machine, ce document présente l’ambition de la région : devenir la capitale de l’IA en Europe. Les franciliens ne partent pas les mains vides : le rapport est techniquement bon et adossé à des experts solides. Les problèmes sont d’ordre politique, avec un florilège des tares françaises les plus courantes.
Certaines propositions sont aussi simples que d’utilité publique : l’annuaire de l’IA qui encourage les partenariats entre entreprises locales, donc la création d’un tissu, par exemple. Citons également les aides à l’embauche de doctorants, ou les divers challenges et partenariats visant à promouvoir la discipline. D’autres sont plus discutables, comme la poursuite de l’aménagement du plateau de Saclay, désastre écologique coûteux (5,3 Md€ selon la Cour des Comptes[2]) quand Paris dispose d’une surface invraisemblable de bureaux vides à exploiter (800 000m² selon l’APUR[3]). Enfin, certaines sont de l’argent jeté en l’air, comme le « Lycée IA » ou les aides à l’innovation distribuées sans contrepartie pour la région ou le bien commun. Témoignage d’un manque de vision : deux mesures se contredisent. D’un côté la mutualisation des données (Big Data), vue comme le seul moyen d’entraîner efficacement les IA, au risque de dévoiler des données personnelles. De l’autre le développement du Transfer Learning, nouvelle manière d’entraîner l’IA avec des jeux de données plus restreints, bien plus compatible avec le cadre législatif européen (RGPD). Le Big Data, présenté comme « le sens de l’histoire » par certains techno-prophètes dont Laurent Alexandre n’est finalement qu’une méthode comme une autre pour créer des IA. Quand la législation tient bon, la Technique s’adapte toujours.
Plus largement ce plan IA pose la question du rôle politique des régions dans la conduite de l’innovation. Lorsqu’elles rassemblent et promeuvent les acteurs présents, de beaux succès sont possibles. Si elles s’entêtent à lancer des projets pharaoniques, elles échouent inévitablement, augmentant au passage la dette et l’imposition. La région doit être une communauté, non un promoteur si elle veut servir le bien commun.
[1] http://www.datapressepremium.com/rmdiff/2005659/IA2021.pdf
[2] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/09-projet-Paris-Saclay-Tome-1.pdf
[3] https://www.apur.org/sites/default/files/documents/parc_bureaux_parisien_potentiel_transformation.pdf
Enzo Sandré