Théodore Kaczynski, plus connu sous le pseudonyme d’Unabomber, est un penseur néoluddite et un terroriste américain. Il est l’auteur du manifeste La Société Industrielle et son Avenir, synthèse de penseurs comme Jacques Ellul ou Georges Bernanos. Il défend la destruction complète de la société industrielle au motif qu’elle asservit inéluctablement l’homme.
J’ai souhaité écrire cet article suite à la relecture des œuvres d’Unabomber. Il est l’auteur qui m’a poussé à étudier la technique au travers d’Ellul, Mumford, Illich et d’autres. Je lui dois mon intérêt pour le phénomène technicien et souhaitais le relire, quatre ans et de nombreuses lectures après. Cet article présente les deux faces indissociables de Kaczynski : le penseur et le militant.
Le militant
Sa carrière de terroriste est entièrement ordonnée à la diffusion de sa pensée. L’analyse de ses actes révèle une intelligence stratégique et une méticulosité hors du commun. Kaczynski commence par envoyer une série de colis piégés assez artisanaux, afin de créer une agitation médiatique. Il prend bien soin de ne laisser aucune trace et se paye même le luxe de semer des fausses pistes. Après cela, il se retire pendant 6 ans, créant une attente immense auprès du grand public. Il aurait employé ce temps à peaufiner son manifeste.
La seconde phase commence en 1993 lorsque le criminel le plus célèbre des Etats-Unis refait surface. Prenant appui sur son immense renommée, il démarre une nouvelle campagne d’envoi de colis piégés, cette fois létaux et accompagnés de lettres. Il demande la publication de son manifeste, en échange de quoi il cessera de tuer. Faute de pistes sérieuses, le FBI recommande d’accéder à son souhait, dans l’espoir que quelqu’un reconnaisse l’auteur du manifeste.
Confondu par son frère, Kaczynski est arrêté le 3 avril 1996 dans sa cabane. Il a 54 ans, son manifeste est publié et ses actions terroristes ont donné à ses idées un écho gigantesque. Le dernier tour de force de Kaczynski fut d’être reconnu sain d’esprit lors de son procès, contre l’avis de nombreux psychiatres, tout en évitant l’exécution. Une irresponsabilité pour démence aurait été un accroc majeur dans la diffusion de ses idées.
Depuis sa cellule Kaczynski a publié plusieurs ouvrages, dont une version actualisée de son manifeste. Il communique avec ses contradicteurs et continue de rayonner. Il s’est fait capturer à un âge ou sa force physique devenait incompatible avec la vie sauvage. Sans doute envisageait-il la prison comme une retraite, qu’il pourrait employer à diffuser sa pensée. Il n’avait de toutes façons pas d’autres alternatives.
Nonobstant la question morale, la carrière d’Unabomber est un sans-faute. La succession de ses actes est une partie d’échecs : actions, retraites, tout est pensé longtemps à l’avance. Kaczynski laisse peu au hasard et déploie toute la force de son intelligence au service de sa cause. Il est bien loin de l’image du fou aveugle véhiculée par les médias. Si nous écartons son mode d’action, il est un exemple de militant efficace.
Le penseur
Dans l’imagerie médiatique, Unabomber est un tueur nihiliste, tentant de justifier ses actes par une pensée incohérente. La lecture de son manifeste révèle au contraire une réflexion certes radicale, mais très profonde, puisant ses racines dans des auteurs français et américains. La pensée de Kaczynski est une vulgarisation de celle de Jacques Ellul, il puise des inspirations dans La France contre les Robots de Bernanos et utilise des expressions propres à Lewis Mumford, Sigmund Freud ou bien Aldous Huxley.
Kaczynski résume lui-même sa pensée en quatre maximes :
- Le progrès technologique nous conduit à un désastre inéluctable ;
- Seul l’effondrement de la civilisation moderne peut empêcher le désastre ;
- La gauche politique est la première ligne de défense de la Société technologique contre la révolution ;
- Ce qu’il faut, c’est un nouveau mouvement révolutionnaire, voué à l’éradication de la société technologique, et qui prendra des mesures pour tenir à l’écart tous les gauchistes et consorts.
Tout au long de son manifeste, dans un style simple, clair et sans concessions, Kaczynski développe sa pensée. Loin d’être un pur théoricien, Kaczynski explique concrètement comment pousser la société industrielle jusqu’à son point de rupture, afin de la détruire pour qu’elle ne réapparaisse plus. Il est un militant et ce document est destiné à d’autres militants. Il ne croit absolument pas au pouvoir des masses, mais à celui des minorités agissantes, à qui il s’adresse.
Beaucoup de ceux qui n’ont pas lu Kaczynski le prennent pour un primitiviste et rejettent à raison cette pensée. Pourtant celui-ci a bien pris soin de se distinguer de ces derniers, notamment dans une série de lettres à John Zerzan. Unabomber ne souhaite pas un retour à l’âge de pierre, mais une société décentralisée, composée de paysans, d’éleveurs, de chasseurs et d’artisans, vivant en petites communautés et usant d’une série de techniques simples, dont la portée ne dépasse pas les terres environnantes. Il reprend la distinction entre Technique et techniques faite par Ellul, sous le vocable plus clair de « techniques cloisonnées » et « techniques systémiques ». Une technique cloisonnée est, pour lui, une technique pouvant être mise en œuvre par une poignée d’artisans et utilisant les ressources produites par les terres environnantes. Une définition fort intéressante à la veille d’une crise majeure de l’énergie, qui pourrait bien sonner le glas d’une révolution industrielle somme toute très récente à l’échelle des temps humains.
Enzo Sandré