🕸️ Cet article est ancien. Je ne renie rien de ce que j'ai pu écrire, néanmoins, mon point de vue sur certains sujets a évolué. 🕸️
Né dans les milieux écologistes et reprenant des thèses d’Ivan Illich, Jacques Ellul et Georgescu-Roegen, le mouvement décroissant se définit comme véritablement écologiste, par opposition aux Verts et aux partisans du développement durable. Ils accusent les uns d’être corrompus par le jeu partisan (sans pour autant dénoncer la logique partisane en elle-même, nous le verrons) et accusent les seconds de défendre un oxymore.
Il est normal que le terme de Décroissance sonne étrangement aux oreilles du profane. Selon Ariès, Latouche et d’autres figures du courant, ce slogan ne signifie pas l’anti-croissance, l’austérité forcée, ou bien la récession, mais la fin du culte de la Croissance, pendant économique de l’idéologie du Progrès. Bernard Maris disait à ce propos « La récession qui s’annonce n’est pas une forme de décroissance. Car la décroissance voulue par certains est une notion solidaire et équitable ». Nous n’avons donc pas affaire à de dangereux kaczinskystes, mais bien à des écologistes qui, s’étant débarrassés du Progrès, ont pu réellement penser l’écologie.
Là où les écologistes classiques cherchent partout des ersatz verts, afin de maintenir leur mode de vie en polluant moins, les décroissants appellent à une « décolonisation mentale ». Cette expression, récurrente à gauche, signifie pour les décroissants qu’il faut soigner l’esprit qui a attrapé le virus de la croissance (donc également du Progrès, bien que tous les décroissants ne fassent pas le lien). Ils veulent en arriver à un mode de vie sans croissance, néanmoins prospère et heureux, par l’abondance frugale : limiter le superflu et redécouvrir l’essentiel, simplicité et convivialité.
Mode de vie disais-je, car si certains décroissants ont un réel projet politique, d’autres en restent à l’incantation ou à l’ascèse personnelle. Les points que l’on retrouve le plus fréquemment chez ceux qui ont un projet sont la relocalisation, l’anti-productivisme, le convivialisme et le ralentissement du temps. D’autres points sont souvent trouvés, mais vivement débattus par les différentes chapelles de la décroissance. Citons par exemple les idées de revenu de base, d’universalisme ou de libertarisme, défendues ou vilipendées selon les courants et les penseurs. L’on peut déplorer que peu de penseurs de la décroissance actuels aient une véritable culture politique hors de la gauche. Beaucoup ignorent l’existence de penseurs écologistes hors-gauche, et restent dans la consanguinité idéologique. Ils n’ont absolument pas idée d’aller chercher des antilibéraux ailleurs, les croyant tous « de gauche », quoi que cela veuille dire.
Spirituellement, les décroissants se rangent en 3 groupes, le premier groupe, très représenté, n’a qu’un vernis spirituel assez superficiel. Ils dénoncent la perte de la vie intérieure et de la relation avec l’autre qu’engendre le capitalisme consumériste, avec de vagues mots comme « harmonie », « paix » ou « ré-enchantement ». Un certain nombre reste d’ailleurs assez marqué par un certain progressisme, même s’ils le dénoncent dans leur discours : ils refusent obstinément d’aller s’inspirer du passé pour trouver des solutions adaptables à l’avenir.
Un second groupe est le groupe des décroissants chrétiens qui, sans forcément la Foi, prônent les valeurs chrétiennes contre la société libérale. Ces « valeurs chrétiennes » sont assez difficiles à cerner, tant ce groupe est vaste. Ils se réclament d’Ivan Illich, prêtre catholique, de Jacques Ellul, théologien protestant et de Bernard Charbonneau, postchrétien agnostique. Ces décroissants chrétiens font souvent l’éloge de Saint François d’Assise, vu comme modèle d’homme à sa place dans la Création.
Le troisième groupe pourrait être qualifié de « païens » par opposition aux chrétiens. Ils sont représentés aujourd’hui par Pierre Rabhi (bien que religieusement chrétien) et Edward Goldsmith, principalement. Leurs références sont Gandhi, David Thoreau ainsi que les spiritualités grecques (références à Gaïa et au Cosmos), orientales (hindouisme, bouddhisme) et chrétiennes primitives (Tolstoï). Les concepts de Terre Mère et d’Alliance Sacrée entre la nature et l’homme sont au centre de leur philosophie. Alliance sacrée qui, contrairement à la pensée chrétienne, place l’homme au même niveau que le reste de la nature. C’est la différence fondamentale entre les deux. Les chrétiens sont anthropocentristes et les « païens » écocentristes.
Au-delà de ces différences spirituelles, les décroissants se rangent en deux groupes, selon le cheminement qui les a conduit vers la décroissance. On distingue des décroissants « économistes » et des décroissants « culturels » selon Christian Laurut. Les premiers sont partis du constat de la finitude du monde et de l’insatiabilité de la croissance (« Celui qui pense qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » Kenneth Boulding), les seconds, soit d’un mal-être par rapport à la société de consommation, soit de convictions philosophiques ou religieuses.
Les décroissants « économistes » citent volontiers le Printemps Silencieux de Rachel Carson, où bien les conférences de Jean-Marc Jancovici (par ailleurs partisan du développement durable) comme leurs sources. Nicolas Georgescu-Roegen, père de la décroissance, semble avoir été influent dans la création du courant, mais est peu cité actuellement par les décroissants.
La décroissance est un courant assez hétéroclite, où l’on retrouve tout ce qui se trouve entre les primitivistes et les partisans du développement durable. Beaucoup de différences existent entre les décroissants, nous l’avons vu. Ces différences ne les empêchent pas de se rejoindre sur un objectif commun : abattre la société de consommation. Les raisons en sont diverses, le but reste le même. Si nous partageons cet objectif tout à fait louable, nous ne pouvons que rester sceptiques devant les modes d’action majoritairement utilisés par ce courant : que des nuances plus ou moins foncées de démocratisme. Certains, nous l’avons dit, refusent même la politique et font de la décroissance une ascèse personnelle. D’autres fondent des partis, pensant que s’ils arrivent au pouvoir, ils feront mieux qu’EELV. Enfin, d’autres font de l’entrisme, au sein du PG, d’EELV, voire du PS. Aucun n’évoque la possibilité d’une prise de pouvoir, même si beaucoup craignent l’avènement d’un « écofascisme », rendu inévitable par la dégradation de la planète.
Enzo Sandré